SCOPIC et Îlink : Retour sur la première démarche de maîtrise d’usage nantaise

L’urgence écologique n’est plus à prouver, elle est bien réelle et plus que jamais brûlante, à l’image des journées caniculaires – conséquence du changement climatique – auxquelles no

Îlink, c’est un programme immobilier mixte de 22 000 m2 au cœur du quartier Prairie-au-Duc, sur l’Île de Nantes, inauguré en 2018.

Sa particularité ? C’est la première opération de l’île de Nantes qui a intégré le volet maîtrise d’usage en associant les futurs habitants à la définition du projet. Îlink est un projet innovant – dont l’expérimentation a duré 6 ans – qui fait parler de lui. Et c’est tant mieux car c’est en effet un « premier essai » qui doit permettre d’apprendre collectivement et de faire mieux demain.

Pour SCOPIC, c’est une expérimentation qui nous permet aujourd’hui de développer la maîtrise d’usage dans d’autres programmes et sur d’autres territoires. Parce qu’on y a consacré du temps, de l’énergie, parce que c’est une aventure avant tout humaine, que cela nous ressemble, parce qu’on a été jusqu’à mettre en risque notre structure pour que ça marche, parce qu’on pense qu’il faut oser quitte à se tromper, parce qu’on croit en la force de l’usager… pour toutes ces raisons nous sommes fiers de la démarche Îlink sans en nier ses limites.

Alors, parce que les questions sont légitimes, voici quelques réponses et précisions nécessaires.  

Qu’est-ce qu’on entend par « maîtrise d’usage » et quelles étaient les problématiques initiales ? 

En 2012, deux problématiques sont posées par la collectivité et les acteurs de la fabrique de la ville :
1/ Comment créer une vie de quartier en partant de zéro, sur une friche industrielle.
2/ Comment repenser la façon de faire la ville en intégrant l’usager dans les projets urbains.

Pour SCOPIC, le projet Îlink est alors l’occasion de travailler sur ces sujets et d’impulser une démarche de maîtrise d’usage, qui vise à :

  • Intégrer des futurs usagers dans la conception d’un programme immobilier (afin d’en faciliter l’appropriation, de répondre aux besoins et aux envies des usagers, d’étudier les nouveaux usages) ;
  • Créer une communauté habitante vivante dans l’îlot, animée et en lien avec son quartier (pour favoriser les liens entre habitants, permettre l’intergénérationnel…) ;
  • Dynamiser la vie de quartier (et penser la création d’un lieu vivant, favoriser les rencontres entre usagers du quartier).

Comment les habitants actuellement dans Îlink ont-ils été associés au projet ? 

Dès que les premiers acquéreurs ont été connus, ils ont été contactés et invités à rejoindre la démarche. Les premiers l’ont rejointe dés 2015. Plusieurs actions ont ainsi été mises en place et pilotée par l’association Îlink, jusqu’à la livraison des bâtiments (de 2015 à 2019) :

  • Pour ouvrir la communauté habitante sur son quartier : des promenades urbaines à la découverte du quartier, des rencontres d’acteurs, des visites inspirantes.
  • Pour fédérer la communauté habitante : des apéros, des pique-nique conviviaux.
  • Pour informer sur l’avancée du projet urbain et favoriser les liens entre professionnels et usagers : des visites de chantier, des réunions d’information.
  • Pour travailler sur la programmation, l’animation et la gestion de la future conciergerie : de nombreux ateliers de travail et de réflexion ouverts sur des thématiques en lien avec la vie de quartier, les usages et le bien-être des habitants dans les programmes immobiliers. Mais aussi sur les services de conciergerie qui pourraient être développés dans les locaux, une fois que ceux-ci seraient livrés.

Quelques exemples en image de temps organisés avec les futurs habitants.

Cette démarche s’est poursuivie sur les années suivantes : 2016, 2017 et 2018, notamment avec l’ouverture de l’espace d’expérimentation de la Conciergerie-Labo de quartier sur le mail du Front populaire : espace de vie ouvert sur l’extérieur, animant un quartier encore pauvre en aménités avec des soirées, de nombreux ateliers, des services de conciergerie, des marchés de créateurs… Beaucoup y ont répété leur théâtre, certains ont exposé leurs créations, d’autres y ont servi des crêpes…  Et beaucoup y ont échangé, rigolé, dansé.
Cette première conciergerie a permis de préfigurer la conciergerie actuelle, présente dans Îlink sur le mail des chantiers : https://www.laconciergeriedequartier.fr 

Comment ont été financés la démarche de maîtrise d’usage et l’espace de Conciergerie qui en est issu  ? 

La démarche de maîtrise d’usage

La démarche de maîtrise d’usage vise à comprendre les besoins / attentes des usagers, générer des idées/envies, à les concrétiser et à les rendre pérennes. Ce temps de recherche et de travail avec les futurs usagers a été financé par Quartus, Nantes métropole et la région des Pays de la Loire pendant les 4 années avant la livraison des bâtiments.

Le modèle économique initial de la Conciergerie-Labo de quartier

En parallèle de ce travail il a fallu trouver un modèle économique à la Conciergerie-Labo de quartier, issue de la démarche de maîtrise d’usage et située actuellement au RDC d’Îlink. Aujourd’hui, son modèle est le suivant :

  • Les activités bar-restauration et espace de coworking financent la conciergerie, son personnel de gestion et de service, l’animation de l’espace de coworking et une partie des animations de la conciergerie ouvertes sur le quartier (concert, expo..).
  • L’adhésion des habitants (logements + bureaux + commerces) aux services de conciergerie – via les charges de copropriété – financent : le poste de concierge à plein temps, l’animation de temps partagés à l’échelle de l’îlot et la gestion des activités de services proposés aux habitants (exemple : permanence pour les services de la Poste, distribution des paniers de légumes, dépôt de clés, retoucherie, pressing…)

Le fait qu’une partie de l’économie de la Conciergerie repose sur les charges des copropriétaires est une proposition qui a été soumise à la première AG et validée par les copropriétaires. Ce montant représente une quinzaine d’euros par mois soit 180€ par an et par foyer en moyenne.

Un modèle économique qui a dû s’adapter

Bien que votée en AG, l’adhésion des copropriétaires à la Conciergerie via les charges de copropriété a été remise en question par le conseil syndical, qui souhaitait plus de services pour le même prix et qui interrogeait la légitimité de la conciergerie à proposer ces services et animations aux habitants. Une décision – prise en chambre – qui ne fait pas l’unanimité chez les copropriétaires et qui n’a fait l’objet d’aucune communication aux habitants d’Îlink de la part du conseil syndical ou du syndic de copropriété.

Ainsi, aujourd’hui ,le modèle économique de la Conciergerie repose essentiellement sur l’espace bar-restauration et l’espace de coworking qui remplissent leur rôle de créateur de lien et de dynamisme de la vie de quartier. La non adhésion de la copropriété aux services de conciergerie n’a pas permis à celle-ci de pérenniser comme prévu les services aux habitants et de maintenir le poste de concierge de l’ilot.
Dans d’autres opérations, comme le programme Inspirations, toujours sur la Prairie aux Ducs, la Conciergerie a proposé ses services sur le modèle des charges et cela fonctionne.
Pour SCOPIC, cela nous pousse à imaginer d’autres montages qui ne reposent pas sur les charges et à associer le plus tôt possible l’ensemble des copropriétaires à la définition du modèle économique et à la gouvernance. Dans l’innovation, on apprend en marchant…

Comment se passe la vie au sein de l’immeuble aujourd’hui ? Est-ce qu’on peut parler de « communauté habitante »  ? 

Oui, bien-sûr !
Le principe de faire reposer une partie de l’économie de la Conciergerie sur les charges – modèle qui avait été validé par l’AG – a déplu à une minorité de copropriétaires. Minorité pour autant assez suffisante pour que le principe dysfonctionne. Cela a pu créer des tensions (le fameux « facteur humain » qui peut souvent mettre à mal les projets de communs).
Mais malgré ces tensions impulsées par quelques habitants, la communauté habitante est vive et soudée ! Nombreux sont les temps conviviaux organisés par les habitants eux-mêmes, le jardin partagé est animé, la conciergerie ne désemplit pas, les habitants s’y sentent chez eux et y organisent des expositions, des ateliers, des apéros, des réunions. Une discussion WhatsApp « Les amis de la Conciergerie » rassemble plus de 30 foyers qui échangent, partagent, organisent des temps conviviaux.
Nous espérons ainsi pouvoir créer des communautés habitantes aussi soudées et vivantes que celle impulsée dans Îlink !

Concrètement, qu’est-ce que la démarche de maîtrise d’usage aura permis ?  

On ne pourrait pas tout énumérer, mais on peut noter, selon nous, quelques points majeurs :

  • Des transformations significatives du programme immobilier : la 2e tour de bureaux est abandonnée au profit d’un jardin partagé, une venelle est créée pour permettre aux personnes âgées de se rendre plus facilement au jardin, une terrasse et un belvédère voient le jour au 6ème et au dernier étage de la première tour.
  • La création d’un lieu de convivialité pour le quartier – La Conciergerie-Labo de Quartier, implantée au rez-de-chaussée d’Îlink – avec une programmation qui se veut accessible au plus grand nombre, génératrice de rencontre. In fine, c’est également 3 emplois créés pour gérer le lieu.
  • La mise en œuvre par la SAMOA – Aménageur de l’île de Nantes – d’une réflexion globale sur la maîtrise d’usage et les espaces communs dans les programmes immobiliers de la Prairie aux Ducs et du nouveau quartier République.

Elle aura surtout permis d’essayer, de tenter, d’expérimenter pour voir si la maîtrise d’usage pouvait fonctionner. La réponse est « oui » – et elle est partagée par une communauté nationale sur le sujet de la maîtrise d’usage – à condition de continuer à tester et perfectionner les méthodes. Et la méthode imaginée par Îlink en 2012, bien que très novatrice à l’époque, est effectivement perfectible.

Quid d’un retour d’expérience critique sur ce projet ?

SCOPIC a détecté plusieurs écueils sur le projet qui lui permettent aujourd’hui de mieux anticiper la maîtrise d’usage sur d’autres programmes :

  • Trouver un modèle économique viable, tant pour l’accompagnement de la maîtrise d’usage (études urbaines, études sociologiques, animation d’ateliers…) qu’au financement des espaces de rencontre. Depuis Îlink, SCOPIC défend le 1% maîtrise d’usage qui correspond à 1% du bilan de l’opération et qui est financé par le promoteur immobilier.
  • S’assurer que le programme immobilier ne soit pas totalement figé avant que les acquéreurs ne soient connus. Depuis ÎÎlink, SCOPIC défend le 1% d’espace capable qui correspond à 1% de la surface de plancher du programme dédié aux projets des habitants.
  • Accompagner la gestion des espaces communs, parce qu’on sait désormais qu’il ne suffit pas de proposer des espaces pour que leur usage fonctionne. Depuis Îlink, SCOPIC travaille différents modèles de gestion (association habitante, syndic…) et propose d’accompagner les habitants après la livraison du programme dans l’appropriation de ces communs.
  • Travailler de concert dès la conception avec l’ensemble des parties prenantes, dont les architectes : parce que l’on mesure le travail et l’implication que cela demande aux architectes notamment, nous intégrons systématiquement un planning de travail précis, discuté dès l’amont, respectant le temps du projet et le planning de l’opération.

Quel a été le rôle de SCOPIC dans ce projet ? Et quel est son lien avec Îlink aujourd’hui ?

2012-2013 : animation de la maîtrise d’usage

SCOPIC a été à l’origine de la démarche initiée en 2012, en proposant au groupement de promoteurs d’intégrer la maîtrise d’usage dans le montage du programme immobilier. Elle a ensuite créé un panel de potentiels futurs acquéreurs d’Îlink afin que le regard usager pèse sur le projet, sur sa forme ou encore sa programmation. Nous étions alors très loin de la date de livraison des bâtiments et ne pouvions donc pas connaître les futurs habitants : notre seule possibilité était de se projeter avec de potentiels futurs acquéreurs de bureaux ou de commerces (paysagiste, restaurateur, bureau d’étude, galerie d’art, boutique de tissus, agence web…). Nous avons ainsi organisé des rencontres avec ces acteurs (comme Henry Henriette, Escale Digital devenu le start-up palace, MECA, Homy’s,  ou encore Campo qui s’est installé dans îlink).

2013-2017 : création de l’association Îlink

En 2013, SCOPIC crée, avec les contributeurs au projet, l’association Îlink qui sera financée par Nantes Métropole et la Région des Pays de la Loire. En effet, le projet ne disposait pas de budget dédié pour pouvoir financer les prestations de spécialistes de la maîtrise d’usage (qui n’existaient pas vraiment à l’époque). Or, pour un tel projet, il fallait y dédier du temps et énormément d’énergie. Le modèle associatif semblait le plus pertinent pour poursuivre la dynamique. De plus, plusieurs parties prenantes considéraient que le projet relevait d’une expérimentation économique et sociale dont les retombées pour le territoire justifiaient d’être soutenues, dont Nantes Métropole et la Région des Pays de la Loire.
Ainsi, de 2013 à 2017, SCOPIC a encore deux formes de lien à l’association : elle la soutient bénévolement en tant qu’intervenant et animateur d’ateliers et l’accompagne sur son volet communication, sous la forme de prestations commandées par le conseil d’administration de l’association, validées par son expert-comptable et présentées en assemblées générales. Ces prestations ont été rémunérées à hauteur de 42 500 € HT (au total sur six ans). Le budget de l’association sur la même période était de 987 429 € (dont 531 000 € de subventions de Nantes métropole et de la région des Pays de la Loire au titre de la recherche et du développement).

2018 : transformation de l’association Îlink en SCIC « Conciergerie – Labo de quartier » 

En 2018, l’association se transforme et choisit le statut d’entreprise de l’économie sociale et solidaire en devenant une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) appelée « Conciergerie-Labo de quartier » composée de 5 salariés.
SCOPIC poursuit son soutien à l’expérimentation, fidèle à ses valeurs et à ses engagements, en investissant 5000 € dans le projet, et donc en devenant un des sociétaires de la SCIC au même titre que les salariés de la structure ou les habitants (réunis en association) également représentés dans un des collèges.
Un investissement symbolique certes, mais moteur, qui décide les autres parties prenantes (Quartus, Harmonie Habitat) à soutenir elles-aussi le projet en investissant dans des parts sociales de la SCIC. Quartus va même proposer à la conciergerie de financer son installation dans les lieux, en abondant en fonds propres, permettant ainsi à la conciergerie de boucler son tour de table et de lancer l’aménagement et le démarrage de l’activité dans ce nouveau lieu livré fin 2018.

Ce qu’il faut savoir, c’est que la SCIC Conciergerie de quartier n’a pas vocation à faire des bénéfices et à rémunérer ses sociétaires. Tous les investisseurs le savent et ne fixent donc pas d’objectifs de rentabilité à la conciergerie. L’aventure est ailleurs et le sujet est clairement de permettre à la conciergerie de réussir son envol comme n’importe quelle entreprise qui démarre, trouver son équilibre et développer ses activités, dont une grande partie consiste à proposer de l’animation et des services aux habitants et au quartier. Aujourd’hui, aucune conciergerie de quartier en France n’a trouvé de modèle économique viable sans subvention. La conciergerie d’Îlink, désormais transformée en SCIC, fait pourtant ce choix d’être autonome et de fonctionner sans subvention : la prise de risque pour les soutiens du projet est donc importante puisqu’ils risquent de perdre leur investissement si la structure ne trouve pas son équilibre économique.

Ce projet a-t-il été économiquement intéressant pour SCOPIC ?

Intellectuellement et humainement, oui indéniablement !
Économiquement, le projet Îlink en lui-même, non clairement pas !

Cette expérimentation – comme toute forme d’innovation – a demandé beaucoup de temps homme notamment à Gildas Maquaire, gérant de SCOPIC : temps qui a pesé sur la structure qui, en 2014 (2 ans après le début d’Îlink), voit son chiffre d’affaire baisser dangereusement et ses fonds propres diminuer (perte de résultat sur deux années consécutives).

En revanche, cette expérimentation majeure, génère aujourd’hui des retombées puisque l’agence SCOPIC est maintenant sollicitée pour des prestations – cette fois rémunérées au temps passé – de maîtrise d’usage sur d’autres programmes immobiliers. En effet, l’expérience nous a permis en 2015 de développer un pôle appelé « Concertation et maîtrise d’usage » aujourd’hui composé de 4 salariés.

Îlink, c’est donc une aventure humaine qui a nécessité beaucoup de temps passé, de débat, beaucoup de nœuds aux cerveaux pour « faire autrement ». Mais elle a surtout permis de rassembler, et aujourd’hui de diffuser le principe qu’un projet ne peut pas se faire sans les premiers concernés : les usagers.

RESSOURCES

La banque d’images d’Îlink association https://www.pinterest.fr/assoilink/

Communication sur le projet et la démarche de maîtrise d’usage :

Articles de presse :

Recherche :

  • GERS (Groupe d’Étude et de Recherches Sociales)  : http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_final_decembre_2015.pdf
    Cette étude a été souhaitée et commandée par l’association îLink et cofinancée par l’association îLink et le PUCA. L’objectif était d’avoir un regard critique d’un observateur extérieur sur cette démarche expérimentale afin d’en analyser les points forts comme les axes d’amélioration et ce, en vue d’identifier ce qui, dans le processus d’expérimentation pourrait être réplicable.
  • PUCA – Collection image – L’intégration des usages et usagers dans un projet immobilier Le cas de l’opération Ilink sur l’île de Nantes http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/IMG/pdf/coll_images_ilink_web_1.pdf

CONTACTS


Cet article a été rédigé par Gildas Maquaire – Gérant et Directeur conseil SCOPIC

SCOPIC est une agence conseil en communication et concertation