Synthèse des 8ème Rencontres Européennes de la Participation

Le pôle concertation de SCOPIC a participé aux 8ème Rencontres Européennes de la Participation organisées à Toulouse le mois de juillet dernier, dans le contexte particulier de l’entre-deux tours des législatives. La période avait de quoi inquiéter et interroger les praticien·nes de la concertation lors de ces temps précieux d’échanges, de réflexions et d’inspirations autour d’un thème phare : les transitions.

Ce rendez-vous annuel est organisé par le think-tank Décider Ensemble et contribue au développement d’une culture commune de la participation, en mettant en avant des démarches inspirantes mises en œuvre sur les territoires, tout en explorant les controverses qui la traverse.

Il s’agit d’un événement incontournable qui rassemble une diversité d’acteur·rices et de praticien·nes de la concertation : collectivités locales, élu·es, consultant·es, acteur·rices associatif·ves, chercheur·ses, etc. Voici ce que nous en retenons.

1. La place et le rôle de la participation dans des temps politiques incertains

« Nous traversons une crise démocratique » : le constat revient chaque année entre les participant·es des rencontres et animent largement les discussions entre praticien·nes au point qu’employer le terme de crise ne semble presque plus adapté.

Fragilisation de la place et du rôle des corps intermédiaires constatée de façon accrue lors du mouvement social de la réforme des retraites, mouvement des Gilets Jaunes qui a révélé de manière prégnante les liens entre écologie et inégalités sociales, ou encore souhait de « simplifier » les processus de participation du public prévus au code de l’environnement …autant d’événements et de dynamiques en cours qui témoignent d’une accélération inquiétante de la polarisation des idées et de notre malaise collectif à adhérer à des décisions de moins en moins délibérées.

Malgré le développement d’une culture de la participation, la multitude des démarches animées dans les territoires au niveau des politiques publiques ou de projets, la percée massive de l’extrême droite au soir du 1er tour des législatives a marqué les esprits des praticien·nes. Le sujet a beaucoup animé les discussions informelles entre deux ateliers sur les trois jours des Rencontres : quel avenir pour la participation citoyenne si l’extrême droite prenait la tête du gouvernement ? Quelles conséquences pour accompagner les transitions sur les territoires, et in fine pour notre métier ?

Aussi inquiétantes que soient ces questions, et aussi alarmant que soit le moment politique que nous avons vécu pour l’avenir de notre démocratie, les ateliers des Rencontres ont été plus que jamais l’occasion d’affirmer que lorsque les conditions sont réunies (cadrage et portage politique clair, moyens dédiés), la participation enrichit la citoyenneté, le débat et la décision publique. Ces conditions, fondatrices de la démocratie participative, ne peuvent exister que dans un cadre démocratique.

Enfin, si la participation citoyenne telle qu’elle est aujourd’hui déployée peut-être critiquée, en témoignent les échanges vifs entre praticien·nes autour du livre « Pour en finir avec la participation citoyenne », ces Rencontres ont été l’occasion de réaffirmer une des vocations incontournables des démarches participatives : la délibération collective. Chez SCOPIC, nous défendons la conception et l’animation d’espaces de concertation qui favorisent la rencontre entre personnes aux parcours différents, qui croisent les regards et permettent de faire commun entre des parties peu habituées à travailler ensemble. Apprendre à se connaître les un·es les autres, si possible avec quelque chose à boire et à grignoter, restent toujours les meilleurs préalables pour animer un atelier de travail.

2. Renforcer l’inclusion des publics au sein des dispositifs

L’inclusion de l’ensemble des citoyen·nes, y compris les plus éloigné·es des instances démocratiques traditionnelles, est un sujet récurrent des Rencontres. Deux thématiques liés à l’inclusion ont attiré notre attention : la question des contreparties à la participation et la place des jeunes.

  • Les contreparties à la participation

En lien avec les réflexions sur la création d’un « statut citoyen », les practicien·nes plaident pour la mise en place de contreparties à la participation citoyenne, permettant de lever les freins à la participation, qu’ils soient pratiques, économiques ou symboliques. Judith Ferrando, vice-présidente de l’Institut de la Concertation et de la Participation Citoyenne, distingue trois niveaux de contreparties :

– Les contreparties pratiques, qui sont le « minimum syndical » pour baisser les barrières pratiques à l’entrée des espaces participatifs.

Les lieux de la participation doivent être faciles d’accès pour toutes et tous, notamment via de l’aide aux transports, et l’accueil des participant·es doit répondre aux besoins physiologiques des participant·es : proposer à boire et à manger pendant un atelier, ce n’est pas de la convivialité, cela répond à un besoin essentiel ! Ce niveau de contreparties vise à faire en sorte que participer à une démarche de participation ne soit ni coûteux, ni difficile. Pour les practicien·nes, ce niveau minimal reste encore trop souvent négligé.

D’autres contreparties pratiques peuvent être imaginées pour rendre la participation réellement accessible à toutes et tous : par exemple, pour la mise en place des commissions délibératives mixtes du parlement francophone bruxellois, les participant·es ne parlant pas français ou néerlandais avaient la possibilité de venir avec un·e proche jouant le rôle d’« aidant·e linguistique ».

– Les contreparties financières, sous toutes leurs formes : indemnisation financière ou via des « bons cadeaux ».

Ces formes de contreparties font encore débat parmi les practicien·ne,s qui craignent la monétarisation de la participation, et leur mise en place relève encore du parcours semé d’embûches pour les collectivités, faute d’encadrement légal. Par exemple, lors des échanges sur le sujet des contreparties, un agent d’une collectivité territoriale a relevé que l’indemnisation pour la participation à une démarche participative pouvaient mettre en danger l’accès aux aides pour les personnes bénéficiant des minima sociaux. Pourtant, les expériences de démarches dans lesquelles les participant·es sont indemnisé·es montrent que l’indemnisation peut réellement être un levier à la participation : selon une enquête du CESE, 90% des participant·es à la convention citoyenne sur la fin de vie reconnaissent l’importance de l’indemnisation pour lever les freins, reconnaître et valoriser le temps citoyen.

– Les contreparties symboliques, qui permettent de valoriser l’engagement citoyen par des « avantages » offerts, comme une visite d’un lieu peu ouvert au public, ou encore l’accès à de nouvelles connaissances ou expériences.

Souvent oublié, ce type de contreparties peut pourtant être particulièrement motivant pour une partie des participant·es : lorsque nous animons des démarches types panels citoyens, beaucoup de personnes disent participer par curiosité intellectuelle et envie d’en apprendre plus sur le sujet travaillé.

  • La place des jeunes

La place des jeunes dans les dispositifs de participation reste une préoccupation et une attention partagée par les praticien·nes. Plusieurs ateliers des Rencontres étaient dédiés à cet enjeu, et nous avons contribué à 2 d’entre eux pour alimenter nos réflexions.

Parmi les personnes que nous avons rencontrées, nous partagions des constats communs sur la participation spécifique de ce public :

– Les jeunes ont de nombreuses préoccupations : iels se questionnent sur leur avenir, se cherchent, étudient, se sociabilisent. Au même titre que les plus âgés, la participation n’est pas leur priorité dans un monde instable ;

– Ce n’est pas pour autant qu’iels ne sont pas citoyen·nes : bénévolat, engagements associatifs dans les milieux culturels et du sport, solidarité…la participation politique ne peut se résumer à celle proposée dans le cadre d’une concertation, et la jeunesse souffre de son image dépolitisée ;

– Globalement, notre regard sur ce public est biaisé et nourri d’a priori : utilisation des réseaux sociaux, dépréciation de leurs niveaux en langue et en orthographe, etc…autant de sujets d’incompréhension et d’enjeux insuffisamment pris en compte qui minimisent la valeur de leur participation.

Au cours de nos échanges dans les ateliers animés par l’Institut Bertrand Schwartz et de la Ville de Dijon, nous retenons le besoin dans nos pratiques professionnelles de contribuer à un changement de regard collectif sur la jeunesse.

Leur participation dans des démarches de concertation nécessite de répondre aux mêmes interrogations que celles pour les publics adultes, et à vrai dire pour tous les publics : sur quels sujets souhaitons-nous les associer ? Les enjeux sont-ils définis de manière à sincèrement les intéresser ? Si leur point de vue est nécessaire à la démarche, quels moyens adaptés permettraient de recueillir leur parole ? Comment leur contribution sera-t-elle prise en compte ? Avec quels retours ensuite ?

Répondre à ces questions est fondamental pour que la concertation se déroule sereinement et aboutisse : l’implication des jeunes n’y fait pas exception, leur participation ne peut tenir à un souhait d’affichage. L’atelier proposé par l’Institut Bertrand Schwartz sur l’injonction à participer et animé en partenariat avec des jeunes de la Mission Locale de Toulouse a démontré avec brio ce que produit leur implication lorsqu’elle est soutenue.

3. La démocratie d’interpellation : où en est-on ?

Il y a 3 ans, nous avions évoqué dans notre précédente synthèse des Rencontres une initiative de la ville de Grenoble pour accompagner l’interpellation citoyenne. En complément des dispositifs pensés par les collectivités pour inviter les citoyen·nes à participer, il s’agit de partir d’une demande citoyenne pour envisager la création d’un dispositif participatif.

La Mission Démocratie Locale grenobloise anime depuis 3 ans un processus pour faire vivre les interpellations des habitant·es : activation d’un dispositif de médiation d’initiative citoyenne (sur la base de 50 soutiens), animation d’un atelier d’initiative citoyenne (avec 1000 soutiens), et organisation d’une votation d’initiative citoyenne (en rassemblant 5% de la population soit 8000 soutiens). En parallèle, d’autres collectivités ont mis en place différentes manières de fonctionner avec les mêmes intentions : la Métropole de Grenoble, les villes de Grenoble et Bordeaux ont pu en témoigner lors d’un atelier dédié au sujet de la démocratie d’interpellation animé par l’Institut Alinsky.

Dans le contexte des élections législatives, ce retour d’expérience nous a marqué : face à la montée de la conflictualité dans le débat public, de la défiance exponentielle envers les institutions, leurs représentant·es et les expert·es, l’interpellation citoyenne ouvre de nouvelles perspectives en matière de participation en partant du citoyen·ne et de l’usager·ère.

En 3 ans, Grenoble a reçu 37 interpellations citoyennes, dont la majorité sont des demandes de médiation d’initiative citoyenne ne nécessitant que 50 soutiens. Ce premier seuil est particulièrement apprécié des habitant·es car il s’active rapidement, souvent sur des préoccupations très concrètes qui peuvent vite être résolues. Il permet surtout de rassembler les parties prenantes pour faciliter l’interconnaissance et la compréhension du qui fait quoi, pour quoi. Cela peut paraître peu, mais ce sont des conditions incontournables et essentielles pour commencer à apaiser des tensions, voire les dépasser en prolongeant le dialogue. C’est aussi une manière de mettre à l’agenda politique local ce qui fait sujet pour les habitant·es, et globalement un moyen pour les citoyen·nes de participer plus directement à la vie publique.

Apprendre à se connaître, et donc à se reconnaître, sont des enjeux parfois traités trop vite dans les démarches de concertation : insister sur ces fondamentaux, compte tenu des retours positifs de ces collectivités, est une excellente piqûre de rappel.

4. L’entreprise, un laboratoire de la démocratie ?

Les Rencontres ont également été l’occasion de porter notre regard vers nos organisations, pour interroger la manière dont nous appliquons les principes démocratiques dans nos pratiques en interne. L’entreprise peut-elle être organisée de manière démocratique ? Peut-on le rôle peut jouer l’entreprise dans la formation d’une culture démocratique commune ?

De plus en plus, les aspirations démocratiques semblent s’étendre au monde du travail : de nombreux salarié·es, en particulier les jeunes diplomé·es, se disent attiré·es par des structures dont l’organisation est à contre-courant d’un modèle d’organisation verticale des entreprises, encore majoritaire.

Un atelier dédié à la démocratie en entreprise, animé par Enercoop Midi-Pyrénées, a permis d’explorer de nouvelles manières de faire pour les entreprises, et les questionnements et limites à la démocratie en entreprise. Si certains statuts d’entreprise, comme les SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) ou les SCOP (Société Coopérative et Participatives – comme SCOPIC -) permettent de garantir la redistribution des richesses et une gestion partagée entre les salarié·es, les pratiques démocratiques en entreprise vont au-delà de son statut social. Par exemple, Enercoop Midi Pyrénées fonctionne selon des principes de gouvernance partagé, basé sur fonctionnement horizontal sans hiérarchie, sur l’auto-organisation et sur une décentralisation de la décision.

Les échanges au sein de l’atelier ont permis de mettre en lumière que passer à un fonctionnement démocratique en entreprise ne se décrète pas, et nécessite un véritable changement de postures individuelles et collectives, notamment en acceptant le temps dédié à la gouvernance (réunions d’équipe) comme temps « non productif ». De plus, le modèle dominant d’organisation des entreprises, qui nécessite de désigner une personne responsable pour représenter l’entreprise aux yeux de la loi, rend difficile les formes de partage de responsabilités. Pour autant, les expériences d’organisation démocratique des entreprises sont probantes : pour les intervenantes d’Ernercoop, ce modèle est vertueux car il permet aux salarié·es de gagner en liberté et de les rendre véritablement acteur de leur structure et de leur quotidien au travail, et donc de favoriser une forme de bien-être au travail.

Chez SCOPIC, ces réflexions autour de l’organisation démocratique d’une entreprise nous parlent : fondé en SCOP depuis 20 ans, nous avons eu l’occasion durant deux décennies d’expérimenter de nombreuses pratiques de gouvernance horizontale, comme le modèle de l’entreprise libérée, basé sur la confiance mutuelle et la liberté d’organisation.

5. Intelligence Artificielle et participation citoyenne : quelles transformations pour nos métiers ?

Le numérique et le développement d’outils en ligne ont fait évoluer les modalités de participation du public. Que ce soit dans les débats animés par la CNDP, les démarches portées par les collectivités : les plateformes et les outils de contributions en ligne se sont multipliées pour faciliter l’accès à l’information et la participation. Une étape supplémentaire est en train d’être franchie avec le développement des outils d’Intelligence Artificielle, avec des usages multiples.

Cette technologie questionne grandement les praticien·nes, à juste titre. Pour aider à y voir plus clair, les Rencontres ont abordé le sujet notamment lors d’un atelier animé par la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs.

A partir de cas fictifs, nous avons été amené·es à réfléchir collectivement sur ce que l’IA peut nous apporter dans nos pratiques professionnelles. Les gains de temps que permettent les outils d’IA ont été particulièrement mis en avant : recherche facilitée sur un sujet ou un thème, analyse de document quasiment instantanée, traduction en direct, croisement de données simplifiés, etc. L’IA nous permettrait donc d’être plus efficace au travail, de gagner du temps sur certaines tâches (par exemple d’analyse de contributions) pour le dédier à d’autres sur lesquelles nous avons habituellement moins de temps (par exemple « l’aller vers »).

Nous retenons néanmoins que l’usage de ces outils interrogent les praticien·nes, et en particulier sur plusieurs points :

  • Ils sont souvent développés par des entreprises privées, avec des enjeux économiques et des questions sur le stockage / l’utilisation des données ;
  • Les outils sont à ce stade principalement développés et utilisés par une population occidentale, blanche, avec une forte dominante anglosaxonne, ce qui alimentent des biais d’analyse et d’uniformisation de leurs productions, au détriment de la diversité souvent recherchée dans la participation ;
  • Le développement des outils se poursuit et la fiabilité des réponses produites peuvent être imprécises, si ce n’est fausse, contribuant ainsi à la propagation de fake news, ce qui peut constituer une menace sur la qualité de l’information nécessaire pour la qualité du débat public ;
  • Les rencontres portant sur le thème des transitions, incluant l’écologie, l’aspect énergivore de l’utilisation de l’IA a été pointé, d’autant plus si son usage favorise l’efficacité au travail et donc une amélioration de la production, au moment nous sommes collectivement enjoint à plus de sobriété, y compris au travail.

Si pour toutes ces raisons il apparaît raisonnable de se montrer prudent·e sur l’utilisation de l’IA au service de la participation citoyenne, ne pas s’y intéresser serait une erreur tant son développement est rapide et faiblement maîtrisé par les pouvoirs publics. A ce titre, l’expérience qu’en ont fait les commissaires enquêteurs leur ont permis de poser des principes d’usages que nous partageons :

  • Toujours contrôler ce que l’IA produit pour corriger avant un envoi ;
  • Si l’outil permet de gagner du temps, le réinvestir sur les temps d’aller vers ;
  • Ne pas substituer l’usage de l’IA au détriment de la qualité des temps présentiels et relations humaines.

Nous espérons que vous ressortez de ces Rencontres aussi inspiré·es et plein·es d’élan que nous. A l’année prochaine pour les prochaines Rencontres !


Un article écrit par Maxime Sourdin et Manon Potet, consultant·es au sein du pôle Concertation et participation de SCOPIC.

SCOPIC est une agence conseil en communication et concertation


Visuel Facilitation graphique réalisée par Pierre Chanut, lors de l’atelier « L’injonction à participer lorsque l’on a d’autres urgences ».